Miel des villes - Miel des champs
Ramenons nos avettes au bercail
Apis mellifera des villes - Apis mellifera des champs
dimanche 27 février 2011
par Etienne Minot

Chaque jour nourrit le flot des écrits, des émissions, des films, des documentaires qui relatent la bonne santé affichée des abeilles en ville.

La plupart des grandes villes du monde abritent plus ou moins officiellement des ruches. La France n’est pas en reste : toutes les grandes villes de l’hexagone rivalisent d’ingéniosité pour accueillir des maisons d’abeilles.

A vrai dire, la présence de ruches en ville, notamment à Paris, est un phénomène ancien : s’il existe aujourd’hui 300 ruches déclarées sur les toits de la capitale, elles étaient 700 sous Napoléon III. Ce qui est nouveau, c’est la désertion des colonies de la campagne.

Et les apiculteurs, qu’ils soient amateurs ou professionnels, se trouvent régulièrement face à des consommateurs qui leurs demandent : « Avez-vous du miel de ville ? Il paraît qu’il est moins pollué que le miel de la campagne » !

Quoi qu’il en soit, l’engouement pour l’installation de ruches en ville est certain et les résultats pour le moins encourageants.

Devons-nous nous en réjouir ? Peut-on aussi vite en conclure que les abeilles se portent très bien en ville alors qu’elles disparaissent en campagne ?

Parmi les observations autour du succès des ruches urbaines, nous pouvons citer : - la volonté des élus métropolitains de démontrer qu’il fait bon vivre dans leur cité, encouragés par la tolérance des citadins à l’égard des abeilles mellifiques, insectes symboliques.
- la diversité des fleurs en ville, avec jusqu’à 250 pollens différents dans certains miels polyfloraux urbains. Les abeilles ne sont pas xénophobes : elles vont butiner les fleurs et les arbustes des balcons et jardinets de toutes les communautés présentes dans un rayon de 3 kilomètres.
- le microclimat urbain favorable à une durée de butinage plus longue (les abeilles ne souffrent pas des émissions de CO2)
- la productivité accrue en ville (des ruches 2 à 3 fois plus généreuses)
- le très faible taux de mortalité : 10% en milieu urbain contre 30 % en milieu rural (dans l’Eure, nous sommes actuellement à un pourcentage nettement inférieur à cette moyenne).

Ces premiers constats dressés, revenons à la vocation de notre apis mellifera :

Apis mellifera est le nom binominal retenu par la communauté scientifique au 18ème siècle pour notre abeille dite domestique.

En réalité, notre abeille mériterait un binôme à la hauteur des services que cette humble travailleuse rend à la nature et aux hommes ! Mellifera signifie qu’elle est seulement porteuse ou transporteuse de miel. S’il est juste qu’apis mellifera transporte le nectar qu’elle va butiner sur des plantes mellifères, notre abeille sait aussi élaborer du miel à partir de cette matière première.

Notre avette devrait de ce fait s’appeler apis mellifica (qui fait du miel) abeille mellifique, mais l’histoire en a décidé autrement !

Ce qui semble occulté dans ce débat, c’est la mission première de l’abeille. Ne serait-ce pas la pollinisation ? Le nectar récolté par les abeilles ne serait-il pas la récompense offerte par les plantes pour le service de fécondation rendu ?

Rappelons qu’une étude franco-allemande de 2005 (1), évaluait à 153 milliards d’Euros les services rendus aux principales cultures mondiales par les insectes pollinisateurs, en particulier les abeilles, soit 9,5 % de la valeur de la production alimentaire mondiale.

Ce chiffre peut être comparé au marché mondial du miel qui est estimé à 1 million 200.000 tonnes soit au cours moyen mondial, 3,6 Milliards d’Euros.

(1) menée par Jean-Michel Salles du CNRS de Montpellier et Bernard Vaissières de l’Inra d’Avignon

Si les abeilles n’élaborent vraisemblablement pas leur miel à partir des détritus urbains, la flore qui leur est proposée sur les balcons et terrasses, dans les parterres, les squares et les parcs émaillés de Vénus callipyges, n’est pas représentative d’un terroir, encore moins de la flore indigène de l’Ile de France.

Si les miels de villes sont riches par la variété des pollens présents, on ne peut pas dire qu’ils soient représentatifs d’une authentique biodiversité, mais plutôt d’une biodiversité synthétique.

Ce qui est indéniable, c’est qu’avec la disparition des « mauvaises herbes » et des haies dans les campagnes, ont disparu également la plupart des plantes mellifères qui garantissaient le pain quotidien des ouvrières, leur phytothérapie - ces plantes qui assuraient le minimum vital aux abeilles et leur évitait la disette entre les périodes fastes de floraison intense qu’offrent le colza ou la phacélie ou encore le tilleul et le châtaignier.

Dans ces circonstances, la France pourrait devoir emprunter le chemin des « apiarists » qui charrient des milliers de ruches aux 4 coins des Etats-Unis pour apporter des pollinisatrices aux producteurs de fruits .

D’abord les agrumes de Floride, puis les pommes de Pennsylvanie, ensuite les Myrtilles du Maine et enfin les amandes de Californie.

Les pourvoyeurs de pollinisatrices sont à l’image de ces proxénètes qui transportent des bus chargés de demoiselles (qui méritent notre respect) à proximité des grandes manifestations sportives.

On sait que les abeilles stressées par des longs voyages sont les premières victimes du syndrome d’effondrement des colonies (CCD colony collapse disorder).

La généralisation des miels de villes pourrait aussi brouiller les pistes puisqu’il pourrait devenir difficile de distinguer un miel de ville d’un miel étiqueté « origine CE et autres pays », voire d’un miel de synthèse.

Ne serait-ce pas la Porte Dorée ouverte aux miels d’origine douteuse ?

Invitons nos brebis égarées à rentrer au bercail et faisons tout pour que nos abeilles retrouvent, dans les campagnes, une nature authentique, généreuse et diversifiée avec des pollens et des nectars disponibles de février à novembre (voir notre article de mars 2010 intitulé « Enrichissons le bol alimentaire des abeilles »)

Notre abeille mérite mieux que les talus autoroutiers ou la toiture des gratte-ciel !

Entreprenons par la séduction, la reconquête de nos avettes, plantons des haies, semons des mellifères, repiquons des vivaces, préservons des sites naturels, et tout cela sans recours à l’agrochimie, pour que notre abeille retourne au pays des vertes années, forte de son expérience urbaine et, comme Ulysse, « pleine d’usage et raison ».

Notre abeille pourra sans crainte, paraphraser Jean de la Fontaine : –« Je butine tout à loisir, Adieu donc, fi du plaisir Que la crainte peut corrompre » !

Etienne Minot – Membre du CA – Syndicat des apiculteurs de l’Eure Intervenant - Jardiniers de France

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